Les venins des serpents n’ont pas livré tous leurs secrets

Depuis plusieurs décennies, les venins de serpents sont utilisés en pharmacologie pour créer de nouveaux médicaments. Mais une équipe de pharmacologistes, cliniciens, systématiciens et biologistes de la conservation, dirigée par Nicolas Vidal du laboratoire « Systématique, adaptation, évolution » (UMR 7138 Muséum national d’Histoire naturelle/Université Pierre et Marie Curie/CNRS /IRD), vient de montrer que ces venins étaient largement sous-exploités.
Ils ont décidé d’unir leurs efforts pour utiliser au plus haut niveau ces ressources en composés pharmaceutiques et sauvegarder ces espèces particulièrement menacées. Les résultats de cette étude sont publiés en couverture de la revue Bioessays cette semaine.
Aujourd’hui, plus de 3000 espèces de serpents vivent sur Terre où elles occupent des niches écologiques variées. La majorité d’entre elles (environ 2700) ont émergé et se sont diversifiées il y a 65 millions d’années au moment de la crise Crétacé-Tertiaire et de l’extinction des dinosaures. Ce grand groupe, appelé Caenophidia, réunit les serpents les plus évolués, ils sont caractérisés par leur fonction venimeuse. Parmi eux, les serpents possédant des crochets venimeux représentent environ 600 espèces. Ce sont les cobras, les vipères ou bien encore les serpents à sonnette. Les espèces restantes, plus de 2000, sont appelées « colubridés » ou « couleuvres ». N’ayant pas de crochets venimeux à l’avant de la bouche, elles ne présentent en général pas de danger pour l’Homme. Celui-ci a longtemps pensé qu’elles n’avaient pas de venins et les a ainsi largement négligées. De récentes découvertes1 dans la systématique des serpents démontrent que ce biais taxonomique a conduit à sous-exploiter ces centaines d’espèces potentiellement utiles médicalement. 
 
C’est seulement au cours de ces dernières années que les scientifiques ont commencé à s’intéresser à ces venins de serpents le plus souvent inoffensifs pour l’Homme. Dans cette étude, les scientifiques ont passé en revue l’état des avancées récentes. Ils ont ainsi mis en évidence de nouvelles technologies, telles que les méthodes de criblage à haut débit2, qui permettraient aujourd’hui d’identifier et d’extraire rapidement et efficacement les molécules utiles d’un point de vue thérapeutique. Les venins présenteraient également un degré de variabilité inattendu car leur composition peut différer entre individus d’une même portée.
Au même moment, une crise majeure de la biodiversité menace fortement les populations de serpents sur lesquelles reposent ces espoirs biomédicaux. C’est pourquoi les systématiciens et biologistes de la conservation, pharmacologistes, cliniciens doivent unir leurs efforts afin de préserver la biodiversité de ces « couleuvres » tant pour la place qu’elles occupent dans le maintien des écosystèmes que pour leur chimiodiversité et le potentiel médical qu’elles représentent.
Notes :
1. N. Vidal, J.-C. Rage, A. Couloux, and S.B. Hedges. Snakes (Serpentes). Pp. 390–397 in The Timetree of Life, Oxford University Press, 2009
N. Vidal, S.B. Hedges.The molecular evolutionary tree of lizards, snakes, and amphisbaenians. C. R. Biologies 332 (2009) 129–139
Bryan G. Fry, Nicolas Vidal, Janette A. Norman, Freek J. Vonk, Holger Scheib, S. F. Ryan Ramjan, Sanjaya Kuruppu, Kim Fung, S. Blair Hedges, Michael K. Richardson, Wayne. C. Hodgson, Vera Ignjatovic, Robyn Summerhayes & Elazar Kochva. Early evolution of the venom system in lizards and snakes. NATURE, Vol 439, 2 February 2006
Nicolas Vidal. Colubroid systematics: evidence for an early appearance of the venom apparatus followed by extensive evolutionary tinkering. J. Toxicol.—Toxin Reviews, 21(1&2), 21–41 (2002)
2.  Le criblage ou « criblage à haut débit » (HTS ou High Throughput Screening) désigne dans le domaine de la biochimie, de la génomique et de la protéomique, les techniques visant à étudier et à identifier dans les chimiothèques et ciblothèques, des molécules aux propriétés nouvelles, biologiquement actives.
Référence :
Freek J. Vonk, Kate Jackson, Robin Doley, Frank Madaras, Peter J. Mirtschin and Nicolas Vidal. Snake venom: From fieldwork to the clinic. Bioessays, DOI: 10.1002/bies.201000117, mars 2011.
Source : Muséum national d’Histoire naturelle