Elisabeth Badinter: “L’indépendance des femmes est menacée”

Auteure du livre “Le conflit, la femme, la mère”*, Elisabeth Badinter estime que trente ans après “L’amour en plus”,  les femmes doivent affronter une véritable guerre idéologique souterraine, dont elles ne mesurent pas encore pleinement les conséquences. Son dernier livre dénonce le discours naturaliste et moralisateur qui les renvoie à la maison et menace leur indépendance.

 24hsante.com: Elisabeth Badinter, vous dénoncez “la bonne maternité” que l’on tente désormais d’imposer aux femmes, ainsi que le discours naturaliste qui vise à les culpabiliser. L’indépendance des femmes est-elle, selon vous, menacée?
E.B. “Le retour de l’idéologie naturaliste comporte plusieurs dangers pour les femmes. D’abord si les lois de la nature s’imposent à elles, si l’ocytocine et la prolactine déterminent la « bonne maternité, » alors elles sont privées de leur liberté de choix. C’est la diversité de leurs désirs qui est niée, ainsi que le rôle fondamental de l’inconscient. Par ailleurs le discours naturaliste est éminemment moralisateur donc culpabilisateur, toutes celles qui ne s’y retrouvent pas sont implicitement renvoyées dans le camp des égoïstes, des « mauvaises mères. » Ensuite ce retour à la bonne vieille Nature qui charge la barque des devoirs maternels au-delà du raisonnable peut décourager nombre de femmes de faire des enfants, se sentant incapables d’assumer une telle charge. Voir l’Allemagne. Enfin, à surinvestir la vie familiale, les femmes mettent en péril leur indépendance financière (alors qu’un couple sur deux ou trois se sépare) et renoncent de facto à combattre l’inégalité des sexes, bien mesurée par l’écart des salaires”.
24hsante.com: Peut-on dès lors parler de “retour en arrière” et donc de régression pour les femmes?
E.B. “Mon travail sur le XVIIIe siècle m’a fait prendre conscience que quelques décennies suffisaient pour faire changer du tout au tout un modèle maternel. L’influence du discours Rousseauiste entériné par les hommes de la Révolution Française ont renvoyé les femmes à la maison avec ordre d’y rester pour s’occuper des enfants et du ménage. Le tout au nom de la sacro-sainte Nature. La carotte : Elles seraient les moteurs d’une meilleure société. Le bâton : la culpabilité… Pourquoi un tel renversement ne pourrait-il pas s’opérer aujourd’hui en période de crise économique aigüe, où le travail est rare, mal payé et stressant ? Tous ceux et celles qui prêchent, d’une façon ou d’une autre, les comportements d’antan, et encouragent les femmes à les revendiquer au nom d’une sagesse supérieure, tricotent le piège qui se refermera sur elles”.