L’hypnose chirurgicale en cancérologie décryptée par l'Institut Curie

L’hypnose en chirurgie combine l’induction d’un état d’hypnose chez le patient à l’administration d’une sédation antalgique (un calmant) et l’injection d’un anesthésique local sur la zone à opérer. A l’Institut Curie, plus de 70 interventions de chirurgie du cancer sein sous hypnosédation ont déjà été pratiquées.
Il s’agit majoritairement des tumorectomies du sein, des prélèvements de ganglions sentinelles et des curages axillaires, ainsi que des mastectomies. L’hypnose est réalisée au bloc opératoire par un médecin ou une infirmière anesthésistes formés.
Cette alternative à l’anesthésie générale, pratiquée à l’Institut Curie, remporte une adhésion de plus en plus forte chez les médecins et les patients pour son confort et son faible retentissement.

Les principes d’une intervention chirurgicale sous hypnose

L’hypnothérapeute rencontre la patiente avant l’intervention afin de connaître sa personnalité et ses préférences, en particulier les lieux, moments ou situations qui l’apaisent. Ces questions lui permettent de « conduire » la patiente vers l’évasion et l’imaginaire lors de l’intervention.
« Pour induire l’hypnose, j’aide la patiente à se centrer sur elle-même et à se détacher de tout ce qui se passe autour d’elle », explique le Dr Aurore Marcou, médecin anesthésiste et hypnothérapeute à l’Institut Curie. « Je l’invite, sur un mode actif, à entrer dans un état de conscience naturel, entre le rêve et l’éveil. Quand la patiente se trouve dans son monde imaginaire, nous parlons ensemble au présent. Nous vivons chaque moment comme si nous y étions. Tout l’art de l’hypnose consiste à accompagner de manière personnalisée la patiente dans son champ des possibles et à la laisser aller là où elle veut et faire ce qu’elle a envie de faire. Je reste donc ouverte dans mes suggestions. En fin d’intervention, j’inverse doucement l’état d’hypnose et j’aide la patiente à reprendre confortablement contact avec la réalité, tout en lui faisant des suggestions pour le post-opératoire, sur la cicatrisation, l’énergie ou l’appétit. »
Concrètement, au bloc, la patiente va bénéficier :
• d’une anesthésie locale du site opératoire (lidocaïne par exemple),
• d’une sédation par intraveineuse contenant un analgésique de courte durée d’action (rémifentanil) préservant la conscience.
• d’une mobilisation de la conscience par l’hypnose.
L’hypnose permet de diminuer :
• l’inconfort psychologique de la patiente en « captant » sa conscience,
• le message douloureux provenant d’une terminaison nerveuse en empêchant toutes les zones du cerveau d’être activées par la douleur.
A savoir :
L’hypnosédation ne peut être pratiquée que pour des interventions sur les organes situés assez près de la peau, où une analgésie est suffisante (on ne peut réaliser des chirurgies profondes), et n’est pas possible chez les personnes malentendantes.
Si au cours de l’intervention, l’hypnose ne suffisait pas, la patiente peut bénéficier facilement d’une anesthésie générale (en pratique, moins de 1% des cas1).
Témoignage de Nadia, 46 ans, opérée d’un sein sous hypnosédation
“J’étais étonnée que ça marche si bien. J’ai peur de l’anesthésie générale et un mauvais souvenir de la dernière qui m’avait beaucoup fatiguée. Quand on m’a proposé l’hypnosédation pour une intervention réparatrice au sein, j’ai accepté. J’ai rencontré l’hypnothérapeute, avec qui j’ai eu un bon contact. Au bloc, après quelques questions, elle m’a proposé de me projeter en Martinique, une île que j’aime par-dessus tout, pour m’évader. Elle m’a dit de me détacher de mon corps, elle me parlait de la mer, des paysages, de la plage de Sainte- Anne. J’y arrivais en voiture, c’était vraiment ça ! J’avais les yeux ouverts sous le drap, j’entendais le médecin et les infirmières. Je sentais que l’on travaillait sur ma peau mais pas de douleur. Deux heures après, j’étais chez moi. Je suis pourtant douillette et je craignais de ne pas réussir à entrer en hypnose. C’est une expérience à vivre ! »

Eviter l’anesthésie générale : des avantages forts pour la récupération post-opératoire des patients

« L’anesthésie générale induit pharmacologiquement une diminution de la ventilation spontanée, des réflexes de déglutition, de la tension artérielle que le corps récupère doucement au réveil. Elle peut également induire une désorientation et des troubles de la mémoire », rappelle le Dr Marcou. « L’hypnosédation a par comparaison un retentissement minime sur les fonctions vitales ».
Cette méthode est particulièrement adaptée pour les patients fragiles, très âgés ou présentant des co-morbidités importantes qu’une anesthésie générale pourrait déstabiliser. Elle permet également d’éviter les désagréments du réveil tels que les nausées et les vomissements liés à l’anesthésie générale.
« L’hypnosédation est une excellente alternative à l’anesthésie générale pour certaines patientes, leur permettant une meilleure récupération post-opératoire », précise le Dr Séverine Alran, chirurgienne à l’Institut Curie.
Témoignage de Marie-Claudine, 68 ans :
« Très détendue, j’avais l’impression de participer à l’événement. Quand l’hypnothérapeute de l’Institut Curie m’a proposé de réaliser ma double mastectomie sous hypnosédation, je m’en suis d’abord sentie incapable. Puis l’idée a fait son chemin et par curiosité, mais aussi par expérience des effets rassérénants de la méditation que je pratique, j’ai tenté l’aventure. J’étais rassurée par le fait que l’hypnothérapeute était anesthésiste et qu’il était toujours possible de basculer vers une anesthésie générale. En me parlant, elle a su induire chez moi des images agréables de montagne, selon mes préférences. J’étais pleinement consciente, présente, détendue et j’ai eu envie de parler moi aussi, avec elle comme avec la chirurgienne. J’avais même l’impression de participer à l’événement. Dès la fin de l’opération, je me sentais prête à bouger et très peu fatiguée ».

Question de préférence… et de satisfaction

Toutes les hynosédations ne sont pas motivées par des raisons médicales : « La patiente peut évoquer spontanément la possibilité d’une chirurgie sous hypnose parce qu’elle en a entendu parler, ou c’est moi qui, selon la chirurgie que je pratique et la personnalité de la patiente, estime pouvoir la lui proposer », explique le Dr Séverine Alran. « L’hypnose ne peut s’effectuer sans la pleine coopération du patient : elle n’est donc évidemment pas indiquée pour les personnes réfractaires à cette idée », ajoute le Dr Aurore Marcou.
Une étude menée sur 47 patients par le Dr Aurore Marcou et le Dr Alain Livartowski, oncologue médical à l’Institut Curie, a permis de montrer que la satisfaction des patientes envers l’hypnosédation était excellente avec une note de 9,2 /10. 100% d’entre elles étaient prêtes à une nouvelle intervention sous hypnosédation2.

Une évolution des pratiques pour les praticiens et le personnel soignant

« L’hypnosédation implique une mobilisation de toute l’équipe médicale et une concentration supplémentaire de la part du chirurgien », admet le Dr Alran. « L’ambiance doit être calme et assez silencieuse au bloc pour que la patiente reste détendue et concentrée sur son hypnose. Il faut également parler peu et choisir ses mots, éviter tout terme anxiogène. Le geste chirurgical est la plupart du temps le même. Par ailleurs, le réveil, avec toute la surveillance que cela suppose, n’est plus nécessaire. L’hypno-analgésie nous incite à évoluer dans certaines de nos pratiques et dans l’organisation de la prise en charge chirurgicale », reconnaît le Dr Alran.
Petite histoire de l’hypnose en chirurgie
Si le fameux psychiatre américain Milton Erickson (1901-1980) est considéré comme le père de l’hypnose médicale, le Dr Marie-Elisabeth Faymonville, du CHU de Liège, est reconnue comme la pionnière et la plus grande spécialiste de la chirurgie sous hypnose. Au début des années 90, elle a pratiqué avec succès ses premières interventions combinant l’hypnose, une sédation et une anesthésie locale, notamment pour des chirurgies de la thyroïde. Depuis, des milliers de patients ont bénéficié de cette technique dans cet établissement.
Que dit la science de l’hypnose ?
Entamées dès les années 60, les recherches scientifiques modernes sur les mécanismes de l’hypnose n’ont vraiment pu aboutir à des résultats objectivables qu’avec l’essor des nouvelles technologies d’imagerie. Elles ont permis de mettre en évidence l’existence d’un état cérébral hypnotique spécifique, d’observer les zones activées par l’hypnose et de mieux comprendre son effet anti-douleur. Une activation du cortex cingulaire antérieur et du cortex prémoteur du cerveau, mais aussi des aires gauches de zones sensorielles ont été notamment constatés sous PET Scan chez des patients sous hypnose3. Grâce à l’IRM fonctionnelle, une diminution de l’activité corticale frontopariétale latérale et une augmentation de l’activité des cortex bilatéraux cingulaires et du gyrus frontal ont été mises en évidence4. L’hypnose modifie ainsi la perception sensorielle et le ressenti désagréable d’une stimulation nociceptive5. Plus précisément, le ressenti de la douleur est modifié par des suggestions verbales dissociant ses composantes sensorielle et affective6.
Sources : Institut Curie (1) Meurisse M.: Bilateral neck exploration under hypnosedation: a new standard of care in primary hyperparathyroidism. Ann Surg. 1999 Mar; 229(3):401-8 (2) Marcou A, Livartowski A : Evaluation de la performance de l’hypnosédation en chirurgie ambulatoire. Congrès ENCC 2011. (3) Maquet P et al. Functional neuroanatomy of hypnotic state.Biol Psychiatry. 1999; 45(3):327-33 (4) Demertzi A et al. Hypnotic modulation of resting state fMRI default mode and extrinsic network connectivity. Prog Brain Res. 2011;193:309-22 (5) Faymonville ME et al. Neural mechanisms of antinociceptive effects of hypnosis. Anesthesiology 2000 (92): 1257-1267. (6) Rainville et al. Pain affect encoded in human anterior cingulate but not somatosensory cortex. Science 1997;277(5328):968-71.