Cancer et grossesse : les recommandations de prise en charge évoluent

Le Pr Philippe Morice, chirurgien gynécologique à l’Institut de cancérologie Gustave Roussy (IGR) de Villejuif, et son équipe signent l’article « Gynaecological cancers in pregnancy » (2) et participent à l’éditorial « Cancer in pregnancy : a challenging conflict of interest » (3). L’un des faits marquants de ce dossier publié le 10 février 2012, dans la revue scientifique Lancet est la finalisation de recommandations concernant le traitement des cancers du col utérin, de l’ovaire et du sein qui tend de plus en plus vers une préservation de la grossesse, quand cette stratégie n’impacte pas le pronostic des patientes en ce qui concerne leur cancer.
Il y a moins de vingt ans, l’attitude la plus souvent proposée dans cette situation était d’interrompre la grossesse pour pouvoir ensuite traiter le cancer, considérant que l’administration de chimiothérapie était contre-indiquée pendant la grossesse.
« Les décisions concernant le meilleur traitement du cancer chez une femme enceinte sont souvent difficiles car elles relèvent parfois d’un conflit entre le bien-être de la mère en lui offrant les mêmes chances de guérison qu’elle aurait si elle n’était pas enceinte et celui du foetus, en préservant la grossesse », explique le Pr Philippe Morice.
L’association cancer et grossesse n’est pas une situation si rare et peut atteindre jusqu’à un cas pour mille. Dans les pays industrialisés où l’âge de la grossesse est de plus en plus tardif, ce chiffre pourrait augmenter car d’une façon générale, le risque de cancer augmente avec l’âge. Les cancers les plus fréquents dans cette situation sont les cancers du sein, du col de l’utérus, les cancers hématologiques et les mélanomes. Les femmes enceintes n’ont pas plus de risque d’avoir un cancer que les autres.
L’Institut Gustave Roussy est l’un des 3 centres coordinateurs au niveau national pour les cas de cancer et grossesse (avec l’hôpital Tenon et l’hôpital Cochin), au sein du réseau Cancer associé à la grossesse (CALG)4. Ce réseau permet, à l’échelle nationale, de partager les informations sur les cas de cancers associés à la grossesse et d’avoir une idée précise de l’épidémiologie de cette situation, de proposer dans le cadre de ce réseau des comités multidisciplinaires labellisés « cancer et grossesse » pour conseiller au mieux les praticiens et enfin de réaliser des travaux de recherche cliniques ou plus fondamentaux liés à cette situation. En 2007, la France a été le premier pays au monde à publier des référentiels de bonnes pratiques concernant la prise en charge des cancers du col utérin, de l’ovaire et du sein pendant la grossesse, diffusés à l’échelon national et en lang
L’équipe du comité de gynécologie de l’Institut Gustave Roussy traite dans l’article « Cancers gynécologiques pendant une grossesse » les deux types de cancers gynécologiques les plus fréquents : le cancer du col de l’utérus et le cancer de l’ovaire.
Cancer du col de l’utérus
Les auteurs expliquent que la décision thérapeutique dépend principalement de 4 critères : l’évolution locale de la maladie (taille et stade), l’atteinte ganglionnaire, le terme de la grossesse et le sous-type histologique.
A un stade précoce, les deux facteurs à prendre en compte sont la taille de la tumeur (et le stade) et l’atteinte ganglionnaire. Chez les patientes avec une tumeur de petite taille et sans atteinte ganglionnaire, le report du traitement (jusqu’à la maturité du foetus) après l’accouchement peut être envisagé, avec un suivi clinique et radiologique rigoureux et régulier.
Le traitement des patientes avec un cancer du col utérin localement avancé (stade II ou plus), est controversé et doit être discuté au cas par cas. Les deux options sont : une chimiothérapie néo-adjuvante (avant la chirurgie) avec préservation de la grossesse, ou une radio-chimiothérapie concomitante. Cette option a probablement de meilleure chance de contrôler la tumeur mais nécessite l’arrêt de la grossesse.
 Cancer de l’ovaire
Différents types de pathologies malignes de l’ovaire peuvent apparaitre pendant une grossesse et leur traitement dépend : du diagnostic (sous-type histologique, différentiation de la tumeur et atteinte ganglionnaire), du stade de la tumeur, et du terme de la grossesse.
Pour les cancers de l’ovaire avec atteinte du péritoine (enveloppe des organes de l’abdomen) ou les stades précoces de haut-risque, la chimiothérapie néo-adjuvante avec préservation de la grossesse est une alternative thérapeutique à discuter au cas par cas.
S’il est connu que la chimiothérapie ne peut pas être utilisée avant la huitième semaine de grossesse car elle entraine des dommages sur le foetus, les données scientifiques suggèrent qu’elle pourrait être utilisée durant le deuxième et le troisième trimestre de la grossesse sans provoquer d’anomalies congénitales.
Les auteurs soulignent que ces grossesses comportent le risque de naissance prématurée, naturelle ou induite, associée à un faible poids de naissance et nécessite un suivi médical très particulier. Le Pr Philippe Morice conclut en ajoutant : « Les données sur les effets de l’exposition des foetus ou des nouveau-nés à la chimiothérapie sont rares. Des grandes séries sont attendues, notamment pour évaluer les effets à long-terme de ces traitements ».
Cette série d’articles souligne donc les avancées importantes dans ce domaine acquises en particulier lors de cette dernière décennie. Comme le souligne l’éditorial, cette situation de cancer associé à la grossesse ne doit plus être considérée comme une « fatalité », elle doit relever d’une « concertation pluridisciplinaire en cancérologie », regroupant dans ce contexte particulier chirurgiens oncologues, gynécologues obstétriciens, oncologues médicaux, néonatologistes, radiothérapeutes, radiologues et psychologues, Ces « experts » doivent essayer de résoudre, ensembles, l’équation complexe de la préservation de la grossesse quant elle est possible et de l’optimisation des chances de guérison chez la mère.
1 Series « Malignancies in Pregnancy » – Lancet 2012; 379: 558–87
2 « Gynaecological cancers in pregnancy » – Lancet 2012; 379: 558–69 Philippe Morice, Catherine Uzan, Sebastien Gouy, Claire Verschraegen, Christine Haie-Meder – Institut Gustave Roussy
3 « Cancer in pregnancy: a challenging conflict of interest » – Lancet 2012; 379: 495-496 Philippe Morice, Catherine Uzan, Serge Uzan- Institut Gustave Roussy, Hôpital Tenon
4 www.cancer-et-grossesse.fr
Source : Institut de cancérologie Gustave Roussy